Mademoiselle Maréchal

Texte

De ma vie, je n'ai vu, et je crois bien que je ne verrai jamais, n'importe où m'entraînent les hasards de route, un aussi charmant paysage.

Figurez-vous, a droite de la voie départementale, ombreuse et feuillue comme une route forestière, un chemin creux s'en allant en pente, entre une double bordure de hêtres, de châtaigniers, de pins et de coudriers, formant un fouillis de verdure où neigent, dans les premiers jours de printemps, les aubépines blanches, pour remonter de même, en se perdant, au loin, sous les mêmes arbres et les mêmes futaies.

Dans le fond du vallon, une rivière sinueuse et gazouillante, la Gloire, roulant sur un lit pierreux, limpide en été quand il n'y a point d'orages suivis ou accompagnés de trombes d'eau diluviennes; quelquefois à sec, en hiver, après seulement quelques jours de gelée, et pleine jusqu'au bord, sale et roulant toute sorte de choses, lors de la fonte des neiges, courbant les joncs et les roseaux qui, en se relevant, ramènent, avec eux, une foule de chose sentraînées, jusqu'à l'obstacle, par le courant rapide.

Dans les beaux jours, lorsqu'il est permis de voir jusqu'au fond, les truites diaprées remontent le courant, avec la rapidité d'une flèche, frétillent et sautent, dans les chutes écumeuses des moulins, au point de sembler se jouer dans la mousse liquide où les rayons obliques du soleil mettent une foule de petits arcs-en-ciel.

Les vairons, au dos brun, au ventre blanc, qui naviguent en bancs épais, dans les petits cours d'eau rapides, comme les morues sur les bas-fonds d'Amérique, se jettent avec une incomparable voracité sur la moindre proie, presque sans appréhension, même celle du martin-pêcheur dédaigneux d'un butin aussi secondaire.

D'un côté, la maison paternelle, dont les toits d'ardoise scintillent, à travers la verdure épaisse des hêtres et des chênes, sur l'heure de midi, ses deux paratonnerres passant au-dessus des arbres, comme deux baïonnettes de soldats en sentinelle ; de l'autre, le moulin de Galmant, avec son toit de chaume, semé de plantes vertes et de fleurs grasses, aux tons bariolés, ses fenêtres étroites aux carreaux en culs de bouteilles, et son énorme roue noire, dont l'arbre de couche est toujours enduit de mousses humides et glissantes, et qui tourne, avec un grincement monotone, recevant l'eau d'en haut, par une rigole en bois communiquant avec la rivière, et d'où celle-ci se déverse, en chantant, sur la roue immobile ou tournante, dont les palettes et les jantes, également -moussues, pleurent des larmes de cristal, à cœur de jour.

Plus loin, dans un bouquet d'arbres qu'il dépasse, le clocher de la vieille église, autour duquel, le soir venu, les corneilles fatiguées volettent, en croassant, attendant, non sans impatience, que le bedeau ait fini de sonner l'Angelus, pour aller tranquillement se blottir dans leurs retraites nocturnes!

Je vois encore, dans la cour, assis sur le rebord du pressoir et les jambes croisées l'une sur l'autre, le meunier Galmant, le bonnet de coton rayé et multicolore un peu penché sur l'oreille, la houpette pendante et remuant, le long du cou, avec des oscillations de pendule, et lui, immobile, rêveur et comme jouissant intérieurement de la musique de l'eau sur la roue, dispersée par le choc et retombant en pluie dans la rivière courante, du tic-tac joyeux du moulin et du ronflement sourd et continu du blutoir.

Le long de la rivière sinueuse, dans les prairies grasses et habilement arrosées, des vaches paissaient en nombre, ayant peine à traîner leurs lourdes mamelles, à demi enfoncées dans les herbes hautes, mêlées de fleurs jaunes, blanches et bleues, à travers lesquelles elles donnaient, de temps en temps, de larges coups de langue, puis, s'en venant toutes par une pente humide et quotidiennement piétinée, qui tombait dans la rivière, les deux pieds de devant enfouis dans la vase, et plongeant le mufle dans l'eau qui se mettait à bouillonner sous le vent des naseaux.

Et quand elles se redressaient, la tête en l'air, le mufle ruisselant, les gouttes tombaient rapides dans la Gloire, en faisant un petit bruit de pluie qui n'en finissait plus.

Alors, quand le temps était beau, assis dans le petit bachot d'ordinaire amarré sous les saules, en compagnie. de Gringalet, le fils du meunier Galmant, je jetais ma ligne amorcée, l'œil fixé sur le bouchon mobile, qui plongeait, de temps en temps, en faisant de petits ronds doubles, sous les attaques inoffensives des vairons gourmands.

Ce n'était point cela qu'il nous fallait ; et lorsque l'envie nous prenait d'une friture de vairons, la chose était bien plus simple. Dans l'eau jusqu'aux genoux et quelquefois plus, aux endroits où le sable et les cailloux ont fait, dans la rivière, de petits monticules qui émergent aux heures de plus grande sécheresse, l'un de nous deux se tenait, avec un tamis placé contre le courant et qui faisait office de filet.

L'autre agitait l'eau fortement, à quelques mètres en aval, des pieds et des mains, se rapprochant petit à petit, et poussant les vairons effrayés, qui tombaient droit dans le tamis, pour passer de là dans la poêle à frire, vidés d'un simple coup de pouce sur le ventre.

Jeu d'enfants, mêlé de cris et d'éclats de rire, de clameurs de triomphe ou de lamentations piteuses, lorsque le tamis, surpris par le courant, tournait sur lui-même, dans des mains inhabiles, et s'en allait à vau-l'eau, se remplissant peu à peu et finissant par couler à fond, où, pour le repêcher, il fallait retrousser jusqu'aux épaules les manches de nos chemises.

Mais la truite ne se laisse pas prendre ainsi. La coquine est autrement fûtée ! Elle vous passe entre les jambes avec une celérité inouïe, cinglant les mollets d'un coup de queue solide et filant droit devant elle, avec la rapidité d'une hirondelle.

Pourtant, elle est gourmande, et il est bien rare qu'avec de la patience un pêcheur adroit n'en ait point raison. Pendant deux heures, trois heures, parfois davantage, le bouchon reste sans mouvement propre, suivant le fil de l'eau. Autour de lui, les araignées de rivière vont et viennent sur leurs grandes pattes qui ressemblent à des pagaies ; les herbes longues, entraînées par le courant, s'enroulent autour du fil ; de temps en temps, la truite saute, happant une mouche au vol, ruisselant tout entière hors de l'onde, comme une plaque d'argent ; puis on la voit qui rôde, lorgnant l'appât, faisant autour de lui des cercles qui se rétrécissent de plus en plus, se rapprochant, repartant au diable et revenant, attirée, fascinée par la pitance, et tout d'un coup, vlouf ! le bouchon file sous l'eau, raide comme une balle.

La rusée a coupé net un bout de ver, mais c'est sa perte. Le morceau est si savoureux qu'il lui faut revenir au plat. Cette fois, elle en prendra plus long, elle prendra tout, et crac ! d'un coup de poignet donné à propos, la voilà accrochée par la mâchoire, furieuse, se débattant comme une possédée, s'enferrant à chaque soubresaut, et pesant en diable au bout de la ligne flexible.

La jolie pèche, et quelles bonnes journées ainsi passées sur l'eau, en compagnie de Gringalet!

Cette manière vulgaire de procéder était, cependant, bien au-dessous de ses mérites, et s'il restait avec moi, pendant des heures entières, c'était pour le plaisirde ma compagnie.

Mais, quand le soir se faisait, ramenant au bois les corbeaux endormis, et quand le soleil s'éloignait, dans l'embrasement du couchant, là-bas, tout au fond du cours de la Gloire empourprée, et derrière les arbres incendiés quand le martin-pêcheur filait, suivant les sinuosités de la rivière, et gagnant son lit d'habitude, après une pénible et souvent inutile journée d'affût, Gringalet sautait sur le bord et pendant que j'enroulais ma ligne sur sa planchette évidée, couché à plat ventre le long de la rive et la dépassant seulement de la tête, il coulait tout doucement sa main, à travers les herbes flottantes du bord, dans les creux qu'il connaissait, avec une légèreté incomparable, presque sans rider la surface de la rivière, et, d'un mouvement brusque, rejetait bientôt, par derrière, dans là prairie, une truite adroitement surprise dans son sommeil.

Parfois, il lui arrivait de prendre un rat d'eau pour une truite ; mais d'un solide coup de pouce, c'était bientôt fait, et le rat s'en allait au fil de l'onde, les pattes en l'air et Gringalet recommençait, de plus belle. Alors, il glissait, dans mon panier, une par une, toutes ses prises, et de sa voix douce et claire, comme une voix de jeune fille :
- Pour vous; disait-il, monsieur Marcel.
Et, plus timidement, il ajoutait :

- Et pour Mademoiselle !

Avant de rentrer à la maison, nous passions au moulin. La fille, qui revenait de traire les vaches, remplissait, de lait fumant encore, une jatte de terre ; Galmant ,qui soupait d'un morceau de pain bis et d'une mince tranche de lard, versait dans sa moque enjolivée de fleurs peintes, jusqu'au bord, un coup de cidre frais, puis, avançant là main qui tenait la tasse, et portant l'autre a son bonnet de coton, à la mode militaire :
- A votre santé, monsieur Marcel, disait-il, je suis votre valet.
–A la vôtre, Galmant.
- Sans oublier monsieur Maréchal, madame et Mademoiselle, ajoutait le brave homme.

Je sifflais, d'un trait, le lait tout chaud, et Galmant vidait sa tasse, recta, jetant, par habitude, les dernières gouttes à terre. On se souhaitait mutuellement le bonsoir, et, en compagnie de Gringalet, je regagnais la maison.

Au temps des vacances, Gringalet, mon camarade d'enfance, mangeait souvent à notre table, et à quatorze ans que nous comptions tous les deux, nous avions, l'un pour l'autre, un profond attachement.

Mais, ce diable de petit sauvage, dont mon père aurait voulu faire quelque chose, ne pouvait vivre qu'aux champs, en plein air et en toute liberté.

Quand le moment fut venu de m'interner au collège de Cherbourg, il y eut, pour cela, grand conseil à la maison.

Ma mère, un peu maladive, et pour cela très sensible, peinait, à l'idée de me voir partir pour la prison, surtout de me savoir désormais en compagnie de jeunes gens qui, pour la plupart, se destinaient à la marine.

Qui sait? N'allais-je point prendre là l'humeur vagabonde, ainsi que le goût des voyages et des aventures ?

Et puis, que deviendrais-je, au milieu de tous ces étrangers? Quelle figure y ferais-je? Vraiment, il était trop tôt; il fallait attendre une année encore ! A la prochaine rentrée, on verrait !

Mais, d'ici là, puisque M. Gerville voulait bien venir de Valognes, deux fois par semaine, été comme hiver, et que le curé consentait a surveiller quotidiennement le travail réglé par le professeur, n'était-il pas prudent de reculer l'échéance et de retarder d'une année, cette nécessaire mais si pénible séparation ?

Mais mon père, avec autant d'affection pour moi, avait plus de raison, et déclara formellement que, malgré prières et larmes, il ne consentirait plus au moindre délai.

D'ailleurs, ce n'était pas si loin, Cherbourg ! deux lieues et demie à peine, par belle route et tous les dimanches, après la basse messe, on attellerait, et l'on arriverait au collège juste pour l'heure de la sortie.

Alors, chacun se mit au trousseau, ma mère, en tête, et Mademoiselle.

On avait pris l'habitude d'appeler ainsi ma tante, la sœur de mon père, de quinze ans plus jeune que lui, et qui, malgré une fortune apte à lui permettre de choisir un mari à son goût, vivait à la maison, attendant sans impatience les amoureux, et dispersant son affection intarissable sur tous, et jusque sur Gringalet, choyant le petit meunier, mon camarade, le bourrant de friandises et, de temps en temps, passant les doigts à travers sa lourde tignasse ébouriffée.

Lui, dans ces occasions-là, faisait le gros dos, comme un chat qui ronronne, se dressait sur la pointe des pieds, pour mieux appuyer sur la main caressante, et contemplait Mademoiselle, avec des yeux si doux que leur regard ressemblait à de l'admiration.

Drôle de petit homme, et qui parfois nous faisait rire!

Haut comme une botte et menu comme un jet de coudrier, on l'avait baptisé Gringalet. Mon père, autant qu'il m'en souvient, avait été lui-même le parrain, dans un jour de bonne humeur, et le sobriquet était resté au fils de Galmant.

Sur ce petit corps, bien pris, en dépit de sa fragile apparence, et très souple dans son exiguité, une tête forte et blonde, frisée jusque sur les épaules, avec deux yeux trop grands, mais si fins et si bons, et qui laissaient voir toutes les impressions subies ! De sorte que, lorsque Mademoiselle lui laissait prendre seulement le bout de ses doigts, ils avaient des éclairs de tendresse inouïe.

Elle était si belle, Mademoiselle, avec sa taille imposante, si belle et si majestueuse !

Parfois, - c'est une constatation que je fis bien des années après, - Gringalet la regardait, ou plutôt l'admirait d'une manière étrange. C'était quelque chose comme de l'adoration. Il se serait prosterné devant elle, à ses pieds, comme devant une statue d'église et lorsqu'il arrivait que Mademoiselle lui posait doucement la main sur l'épaule, il se dressait sur la pointe des pieds, et toute sa physionomie avait un rayonnement extraordinaire.

Un jour qu'elle marchait, entre nous deux, dans la grande allée du parc qui descend à pic, vers la Gloire, elle se plut à nous entraîner dans une course rapide :
- Allons, mes chéris, il faut courir un peu !

Et nous courûmes si bien, qu'à deux pas de la rivière, elle s'affaissa, presque pâmée, à l'ombre des grands hêtres dont les rameaux pendants baignent jusque dans l'eau l'extrémité de leurs pointes feuillues.

Gringalet s'esquiva et, moins d'un quart d'heure après, revint, chargé d'une brassée de fleurs des champs, de toutes les couleurs, qu'il posa sur les genoux de ma tante, et tous trois nous nous mîmes à confectionner un bouquet superbe, tel qu'on n'en voit jamais chez les fleuristes de Cherbourg, peut être pas même de Paris.

C'était le bon temps !

Et quand Mademoiselle, heureuse d'être ainsi fleurie et embaumée, nous passait ses deux bras autour du cou, et nous embrassait, l'un après l'autre, à plusieurs reprises, Gringalet, en proie à une singulière émotion, rougissait comme une petite fille, puis, tout d'un coup, devenait pâle comme une reine des prés.

Mais cela ne pouvait pas durer éternellement, parce que les enfants grandissent et sont bientôt des adolescents, avant de devenir des jeunes hommes et il fut trop promptement temps d'en finir avec les caresses de Mademoiselle !

Pour arranger les choses et ne point me faire passer tout d'un coup de l'intimité de la famille à la tumultueuse solitude du collège, mon père avait dit :
- Il y a un moyen de ne point laisser Marcel s'en aller tout seul. Nous en avons causé nous deux, Galmant. C'est un brave homme, très probe et très honnête, mais pas riche, loin de là. Naguère encore, il gagnait assez facilement sa vie et celle des siens, cahin-caha, suant à la peine et ne se plaignant jamais, ce qui, dans nos contrées, est chose assez rare. Mais voilà que la mouture ne donne plus. Par ci, par là, un sac de blé ou deux, pour de pauvres familles, et puis c'est tout. Les trappistes de Bricquebec ont ruiné les meuniers, comme le progrès ruine les pauvres gens. Ce sont des hommes qui s'entendent à la culture et sont en train de défricher la lande, avec une ardeur incomparable. Le pays, en masse, gagnera à tout cela, c'est sûr, mais, en attendant, il est des particuliers qui en pâtissent, et ce brave Galmant est du nombre. Alors, je lui ai dit : « Marcel et Gringalet sont une paire d'amis, et pour moi, je vous tiens en haute estime. Le gamin est intelligent, d'ailleurs, et poussé, fera son chemin, aussi bien et mieux qu'un autre. Je m'en charge, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Est-ce dit ? Et, dès la semaine prochaine, nous les conduirons à Cherbourg. »

Le meunier se confondit en excuses et en remerciements mais les paysans d'alors n'avaient point encore l'idée d'émigrer à la ville, et Galmant prenait peur, rien qu'à la pensée de voir son fils s'en aller contracter, hors du moulin, de mauvaises habitudes et des goûts dangereux.

- Laissez-le moi, dit-il, monsieur Maréchal ; le garçon est d'apparence frêle, mais je le sais solide; et quand il sera tout à fait poussé, le galopin m'épargnera un homme. Il en faut, monsieur, pour lutter contre la concurrence, et, malgré tout mon travail, vous voyez où j'en suis, et vous devinez où j'en serais, si je n'avais un propriétaire comme vous.

Il fut convenu, cependant, qu'on en appellerait à Gringalet lui-même, et qu'il m'accompagnerait ou demeurerait, selon ce qu'il en déciderait.

Aux premiers mots prononcés, croyant l'affaire arrangée d'avance, il pâlit; et comme cela se passait après dîner, dans la salle, autour de la table où Galmant avait eu place pour la circonstance, il regarda du côté de Mademoiselle et, malgré tous ses efforts, je vis que ses yeux se remplissaient de larmes.

L'expression de sa physionomie était triste, bizarre, presque effarée.

A cette proposition qui le surprenait, dans sa quiétude de petit paysan libre, insouciant, à ce que l'on se plaisait à croire, comme nous le sommes tous, à cet âge heureux, il se trouva tout hébété, ne sachant trop ce que cela voulait dire, sinon qu'on lui proposait d'échanger sa liberté contre la contrainte, et que c'en était fait de lui s'il mettait les pieds sur le pavé de la ville.

Nous le regardions tous, avec un certain étonnement, et moi, j'en conviens, avec quelque inquiétude.

L'idée de me voir accompagné au collège par Gringalet m'avait souri, et je commençais à redouter d'être obligé de partir seul.

Enfin, comprenant que ce silence était une sorte d'interrogation, il finit par dire timidement qu'il était heureux ainsi, avec son père, et sans autre ambition que de faire ce qu'il pourrait, au moulin, en attendant qu'il pût faire davantage. Ma mère, que ces paroles irritaient un peu, et qui n'était point fâchée de ne pas me savoir solitaire, dans les premiers jours de réclusion collégiale, l'interpella assez durement :
- Tu n'aimes donc plus notre Marcel? A cette question, il se jeta sur moi, avec une précipitation fougueuse :
- Si, si, fit-il, de sa voix musicale, j'aime M. Marcel, je vous aime tous ici ; mais si je m'éloignais du moulin, dès demain je serais de retour, soyez-en sûrs.

Tout à coup, Mademoiselle parla :
- Et qui donc te retient ici, avec tant de violence, demanda-t-elle, nous voudrions tous le savoir?

Il la contempla, avec une expression de tendresse que je n'oublierai jamais, bien que, sur le moment, personne de l'entourage, n'y prît garde.

Le soir tombait sur la campagne et semblait venir des lointains forestiers, qui s'assombrissaient à mesure. Dans les chemins creux, les charrettes roulaient avec des cahots multipliés par les échos crépusculaires, et qui croissaient, quand les roues retombaient dans l'ornière plus profonde. Les chevaux fatigués, après une rude journée, s'ébrouaient fortement, sentant la litière fraîche et l'approche de l'écurie ; et c'était à peu près tout ce que l'on entendait, avec quelques frémissements d'ailes dans les hêtres et les chênes, et le murmure continu de la rivière, entre ses rives herbeuses.

Gringalet, muet, prêtait l'oreille à ces multiples accents, avec une indéfinissable expression de physionomie; les narine ouvertes comme pour aspirer toutes les senteurs de la nature et tout l'air du paysage.

La perspective très prochaine de s'éloigner de ce coin de terre, où il tenait par toutes les racines de son être, l'anéantissait presque, et il fallut, pour le rappeler à la réalité des choses, la douée et pénétrante voix de Mademoiselle que l'attitude étrange du petit homme surprenait un peu.

Elle se rapprocha de lui et lui posa doucement les mains sur les deux épaules. Cela suffisait pour l'arracher à sa contemplation, et, tournant vers elle ses regards encore tout humides de la grande peine de tout à l'heure, il lui saisit, tout d'un coup, les deux mains, et l'une, après l'autre les baisa.

Puis, sans nous laisser le temps de nous y reconnaître, il franchit la fenêtre, d'un bond, et disparut.

Dans la salle, chacun restait muet, et tous s'entre-regardaient, comme pour chercher la raison de cette fuite inopinée, au moment même où Gringalet s'évanouissait derrière les arbres immobiles, le long du cours de la Gloire dont le murmure devenait plus intense, au fur et à mesure du crépuscule envahissant.

II

Le lendemain, dès le petit matin, la voiture attelée était au bas du perron. Les domestiques chargeaient mes bagages, et Galmant lui-même faisait de son mieux, pour se rendre utile.

Gringalet s'était éclipsé depuis la veille ; le petit homme n'avait pas couché au moulin.

Galmant ne s'en inquiétait guère. Tout ce qu'il savait, c'est que le bachot n'occupait point sa place accoutumée, en aval du moulin, et que son fils avait dû passer la nuit sur l'eau.

Ce gamin, d'apparence si frêle, ne redoutait aucune fatigue. Son père ne l'ignorait point, et malgré lui, en montrait presque de l'orgueil.

Pour moi, je trouvais assez singulier que mon camarade me laissât ainsi partir, sans un mot, sans un adieu. Qu'il restât ! je le comprenais moi-même, qui m'en allais le cœur bien gros ; mais, je ne saurais dire pourquoi, ses souhaits me manquaient. Nous avions passé de si bonnes heures ensemble !

Enfin, tout fut bientôt prêt pour le départ.

Ma mère m'embrassa, à m'étouffer ; Mademoiselle, plus calme, mais tout de même un peu émue, me retint, entre ses bras, et bourra mes poches de toutes sortes de choses ; Galmant me broya presque les doigts, dans son étreinte vigoureuse ; puis mon père monta, le premier, dans la voiture, moi après lui ; le fouet du cocher claqua, et nous voilà partis pour Cherbourg, la bête trottant ferme, le long du chemin, entre la double rangée d'ormes de la grande avenue au fond de laquelle, debout sur le perron, ma mère et Mademoiselle continuaient d'agiter leurs mouchoirs.

On a beau dire, la première séparation est toujours rude. On sait ce que l'on quitte, sans savoir ce que l'on va trouver. Quelque chose de moi restait aussi là-bas, que je n'emportais point à la semelle de mes souliers.

Le départ pour le collège, c'est le premier pas dans la vie, vers l'avenir; et à mesure que la voiture avançait, je me retournais, cherchant, malgré moi, du regard, quelque chose que je voulais fixer, tout à fait, dans mon souvenir.

Cette matinée des tous premiers jours d'octobre était superbe, et j'ai encore, dans les yeux, la couleur du paysage automnal.

Malgré la saison relativement avancée, le chemin vicinal était encore ombreux, et le brouillard condensé, pendant la nuit, sur les feuilles mourantes des arbres, tombait, en gouttes larges et lourdes, sur la poussière de la route, au moindre souffle de la brise.

En débouchant sur la grande route, au grand trot du cheval, à la hauteur des Rouges-Terres, nous nous mîmes à rouler dans la poussière, et tout à coup, sans transition, la mer apparut, dans le fond, scintillant sous les rayons du soleil, et partagée en deux, comme avec une raie blanche, par la digue, avec son fort central, ses bastions et ses musoirs qui semblent toujours menacer le large.

Nous filions, à fond de train, sur la pente du Roule, qui descend en limaçon pendant au moins une lieue, et à mesure que nous dévalions, nous n'apercevions plus guère, au-dessus des arbres, que les hauts mâts des navires de commerce dont les flammes frissonnaient indolemment, à la brise matinale.

Mais l'odeur marine nous arrivait, âcre, pénétrante, vivifiante, en même temps que le bruit du ressac, le long des côtes voisines.

Dans les soirs de grand calme, le sourd grondement des lames sur la grève, arrivait jusqu'à la terrasse, par brise favorable. Mais, ce n'était plus là même chose.

On se disait : c'est la mer ! mais, on ne la voyait pas, on ne la sentait pas. Les parfums de la salure marine s'accrochaient dans les arbres du bocage et y restaient. Ici, l'odeur du varech humide m'emplissait les narines. A mesure que nous approchions de Cherbourg, nous devancions des pêcheurs et des pêcheuses, pieds et jambes nus;. le filet sur l'épaule, le bonnet de laine replié en deux, posé un peu de travers, les hommes la pipe à la bouche, et qui, se retournant au bruit des roues sur la route rocailleuse, se rangeaient et nous saluaient amicalement d'un bonjour.

Nous pénétrâmes dans la ville, au grand trot, et quelques heures plus tard, après une visite à l'arsenal et le déjeuner d'adieu à l'hôtel de France, mon père m'embrassait une dernière fois, et la porte du collège se refermait sur un futur officier de marine. Mais comme il ne s'agit pas de moi, dans cette histoire, je m'efface et laisse passer les années.

Il y en avait trois déjà que j'avais quitté la maison ; mais, à chacune des vacances, ou plus longues ou plus brèves, j'avais toujours retrouvé Gringalet.

J'étais devenu grand et fort : lui n'avait pas poussé, pour ainsi dire, et je ne sais quelle expression de mélancolie croissante se répandait sur son visage, de plus en plus.

Sur ces entrefaites, les voyages à Cherbourg étant, à cause de moi, plus fréquents, mon père, conseiller général, avait dû accepter quelques invitations, notamment à la Préfecture maritime.

Ma mère, de santé délicate, et qui n'aimait point le monde, s'abstenait; mais Mademoiselle, plus jeune et aussi plus joyeuse, plus amie du plaisir et des fêtes, accompagnait mon père: et il me souviendra toujours de la façon dont je me redressais lorsqu'il m'arrivait de pénétrer, elle à mon bras, dans les salons de l'amiral, aussi fier qu'un officier, dans mon uniforme de collégien aspirant à l'école navale.

Sur notre passage, les chuchottements d'admiration se multipliaient. J'en prenais un peu pour moi, mais raisonnablement.

Elle était si belle, Mademoiselle, dans sa charmante toilette de soirée !

Tous les regards étaient pour elle, et, sous les feux croisés, elle s'avançait, majestueusement, comme une déesse.

A l'hôtel, avant de partir, souvent elle me contait bien des choses on s'ennuyait quelquefois, depuis mon éloignement, et elle ne faisait point un pas hors de la maison sans apercevoir Gringalet, de plus en plus sauvage et taciturne.

Un jour même qu'elle s'était assise à l'ombre du taillis, à quelques pas de l'endroit où l'on amarrait le bachot, d'habitude, il s'était dressé soudain devant elle, sans bruit, comme s'il eût été là, depuis longtemps.

Mademoiselle, la nuque appuyée sur une longue et moussue racine d'arbre, semblait sommeiller. Alors, à pas de loup, se rapprochant d'elle, avec des précautions infinies, il s'était saisi d'une pervenche qu'elle venait de poser dans ses cheveux, puis s'était enfui jusqu'à la Gloire qui coulait à quelques pas ; et rien qu'en se soulevant un peu, Mademoiselle l'avait aperçu, assis dans le fond du bateau et couvrant de baisers la fleurette dérobée.

Alors, ce qui devait arriver arriva, Mademoiselle fut demandée en mariage; et ce fut l'amiral lui-même qui se chargea de la démarche, près de mes parents, au nom d'un de ses aides de camp, lieutenant de vaisseau, jeune officier du plus grand avenir, orphelin et à la tête d'une grande fortune personnelle.

Peu de temps après, je fus admis, dans un assez bon rang, à l'école navale, et, la recherche ayant été agréée, il fut décidé que le mariage se ferait avant mon départ pour Brest.

Au moulin, tout marchait comme de coutume ; Galmant n'était ni plus pauvre, ni plus riche, et le brave homme se tuait, à la peine, pour joindre les deux bouts, et encore !

Mais Gringalet lui donnait quelque inquiétude : l'enfant qui, sans grandir, était devenu jeune homme, perdait de plus en plus, la joie et la gaieté de son âge.

Le jour, il travaillait ferme, et Galmant n'avait point à se plaindre; mais, le soleil à peine couché, il disparaissait.

Dans les premiers temps, Galmant s'imaginait qu'il allait à l'affût mais le fusil restait régulièrement suspendu, en long, en dessus du chambranle de la cheminée, et jamais un morceau quelconque de gibier ne paraissait au moulin.

Pauvre Gringalet ! Il me fuyait moi-même, ou plutôt ne cherchait point à se trouver sur mon chemin, et j'en avais un certain dépit.

Enfin, un beau jour, il fit, à la maison, une démarche singulière. La veille, il y avait eu fête. On recevait, pour la première fois, pour le futur et prochain mariage de Mademoiselle.

Dès l'après-midi, les invités étaient arrivés en grand nombre, les officiers de marine en tenue de gala, à cause du voisinage de la ville, et les dames en toilette, ayant seulement, jetés sur les épaules, une rotonde, ou un châle ou quelque sortie de bal, des fleurs dans les cheveux, des fleurs au corsage, des fleurs partout.

Le temps d'août était superbe, et tout promettait une de ces admirables soirées d'été pleines de langueurs et saturées de parfums champêtres. Du salon il était facile de communiquer avec la terrasse où, de place en place, se dressaient des rameaux d'arbres, fichés dans la terre, reliés entre eux par des fils garnis, de bout en bout, de lanternes vénitiennes, et dont le feuillage était rempli de verres de couleurs.

Galmant, dans sa toilette des dimanches, veste et pantalon de droguet, cravate écarlate et col de chemise en toile écrue remontant jusqu'aux oreilles, avait charge de l'illumination et se rengorgeait.

Quant à Gringalet, disparu depuis quarante-huit heures !

Au fond, j'en éprouvais peu de chagrin. De toute la maison, j'étais le seul peut-être à le savoir malheureux, sans bien me définir à moi-même les causes réelles de sa grande tristesse ; mais, grâce à mon affection sincère et même très vive pour le camarade de mes jours d'enfance, je déplorais bien des choses auxquelles nul n'avait assez pris garde.

D'abord, on n'aurait pas dû lui rendre si facile, et surtout si constant, l'accès de la maison. Maladroitement, on l'avait arraché à sa sphère, on s'était trop occupé de lui.

Galmant, avec son bon sens naturel, s'était bien rendu compte de cela mais comment refuser au fils de M. Maréchal la compagnie de son enfant ?

Depuis, j'ai remarqué cent fois les mêmes choses, et j'ai de plus en plus reconnu qu'il est dangereux de mettre les enfants intelligents à même de faire des comparaisons entre la maison paternelle et celle des autres.

La plupart du temps, cela ne peut servir qu'à relâcher les liens de famille, quelquefois à les rompre, en inspirant, à de jeunes imaginations impressionnables, des idées mauvaises.

On a beau être doué de la nature la plus droite, la comparaison des situations sociales, dans les jeunes intelligences, ne peut avoir que des inconvénients ; et les restrictions de Galmant m'apparaissaîent comme essentiellement raisonnables. Malheureusement, il n'avait pas eu la force d'y tenir.

Mais, comme, malgré cela, j'avais le cœur serré, en pensant à mon petit camarade !

Le soir venu, aussitôt après le dîner, les convives se réunirent sur la terrasse, pour attendre le bal.

Mademoiselle, dans une toilette d'été des plus simples, mais charmante, était admirablement belle et elle se perdait, de temps en temps dans tout un fouillis d'uniformes ruisselants.

Aux dernières clartés du jour fuyant sur ces toilettes de femmes, sur ces dorures d'uniformes, et après un diner où les vins généreux n'avaient pas été épargnés, les parfums des champs, s'épanouissant dans la soirée tiède, montaient aux têtes et les grisaient.

Au loin, de l'autre côté de la rivière, au-dessus de laquelle se balançait une ligne onduleuse de brouillard, une fille, légèrement vêtue, ramassait gracieusement des pièces de linge étendues sur l'herbe de la prairie ; l'une après l'autre, elle les jetait sur son épaule, presque en mesure, sa besogne rythmée, en quelque sorte, par un refrain langoureux, bien connu dans le pays, et l'atmosphère était si limpide que toutes les paroles arrivaient nettement jusqu'à la terrasse, dans la sonorité de cette belle soirée.

Involontairement, pour mieux écouter, les invités faisaient silence et se rapprochaient les uns des autres.

Les officiers de marine, comme tous les marins, adorent les chants naïfs, et tous nos hôtes prêtaient l'oreille, pour ne rien perdre des accents de cette voix jeune et bien timbrée, qui semblait, pour le moment, remplir l'espace jusqu'à l'hôrizon.

Rien, du reste, de plus pittoresque et de plus gracieux que cette jeune fille, dans le lointain, avec sa charge de linge sur l'épaule, ployant presque sous le faix ; et comme après chaque vers de sa complainte elle faisait une courte pause, pour reprendre haleine, il était facile de saisir, une seconde fois, les deux dernières syllabes, nettement répétées par l'écho sonore :

Chante rossignol, chante,
Tralalalala
Chante rossignol, chante,
Tu as le cœur bien gai !

La limpidité de l'air et le calme de la soirée doublaient le volume de la voix, et l'on en pouvait saisir jusqu'aux moindres inflexions, à mesure que l'ombre, encore transparente, enveloppait le paysage, et que les arbres se détachaient, en arêtes de plus en plus vives, sur le fond clair du ciel.

Chacun, malgré soi, regardait et écoutait, les coudes appuyés sur la galerie de pierre à pilastres, qui courait tout le long de la terrasse, pendant que quelques battements d'ailes, quelques susurrements étouffés, se faisaient entendre dans les massifs du jardin, dominés par la voix mélancolique du hibou qui, dans les bois voisins de Rufosse, chantait aussi, à sa manière, sa complainte amoureuse.

Soudain, une voix plus rapprochée, langoureuse comme les paroles de la chanson, la voix de Gringalet, que je reconnus, prit la suite de la mélopée rustique, au moment même où la fille disparaissait derrière une haie.

Le mien n'est pas de même,
Tra la la la la
Le mien n'est pas de même,
Car il est affligé.

Dans la lente mélodie bas-normande, ce dernier vers est repris trois fois, les deux derniers sur un ton identique, et très posément. Avec l'organe de Gringalet, cette harmonie sentimentale avait quelque chose de plus particulièrement triste, presque de navrant.

Le son de sa voix, pur comme le plus pur cristal, causait une impression douloureuse, d'une nervosité extrême, et sur la terrasse le silence était général, presque solennel, pendant que Galmant, à son poste, allumait les lanternes et les verres de couleurs.

Et comme, en ce moment, mon père, en compagnie de l'amiral et de quelques officiers, se trouvait presque au pied de l'échelle, au haut de laquelle le meunier était perché :
- N'ayez souci, dit celui-ci, monsieur Maréchal ; c'est le petit qui pêche, en suivant le fil de l'eau.

Et, en effet, comme pour donner raison à Galmant, le bruit des avirons, lentement remués, arriva jusqu'à nous, dans le silence complet du soir.

Alors, toutes les lanternes et les verres allumés se mirent à reluire, suspendus à la corde qui mettait, entre les branches d'arbres fichées en terre, sa courbe gracieuse et multicolore, ondulant parfois au souffle de la brise. Le piano, rapproché jusque sur le perron, préluda, et l'on se mit à danser, sur la terrasse, pendant que, dans les fourrés voisins, les oiseaux surpris s'en allaient, bruyamment, chercher plus loin quelque repos.

Les groupes s'entrecroisèrent, s'entremêlèrent, tandis que les officiers plus vieux s'installaient aux tables de jeu, dans le salon éclairé par des centaines de bougies. Au milieu de ce premier tumulte de la danse, je me dirigeai, sans éveiller l'attention, vers la Gloire qui, à trois ou quatre cents mètres, coulait, indiquée par un ruban de brouillard où les illuminations de la terrasse mettaient des lueurs de prisme.

Plus rien ! Ni chanson, ni bruit cadencé de rames remuées dans leurs tollets !

La rivière, unie et calme, lisse comme un miroir, réfléchissait les étoiles qui, peu à peu, s'allumaient dans le ciel, ainsi que les arbres des deux rives, dont l'image s'y réfléchissait de la façon la plus nette, tant la surface était unie.

A quelques pas, j'aperçus le bachot vide, les deux rames le long du bord, au fil du courant et, dans le fond, l'épervier roulé, et dont toutes les mailles étaient sèches, comme les planches du bateau lui-même à l'intérieur.

Je mis les deux mains, en porte-voix, autour de mes lèvres, et, à plusieurs reprises, j'appelai :
- Gringalet ? Gringalet ?

Au bout de quelques minutes, le fils de Galmant était près de moi et serrait mes deux mains avec effusion :
- C'est beau, là-bas, monsieur Marcel,-dit-il, en me montrant, d'un geste, la terrasse toute illuminée.

Et, plus bas, il ajouta :
- Et Mademoiselle est belle comme une fée.

Je crus, d'abord, à la sincérité de son admiration, et à son regret de ne pouvoir se montrer au milieu de tant d'inconnus.
- Qui t'empêche de m'accompagner, lui dis-je, et de voir cela de plus près ?
- Jamais, répondit-il brutalement, jamais, monsieur Marcel !

Puis il prit brusquement sa tête dans ses deux mains, la trouvant sans doute très lourde, et, tout d'un coup, ses yeux, comme deux escarboucles, flambèrent. Il regarda du côté de la terrasse, d'un air étrange, avec une expression de physionomie presque féroce, et j'aperçus, malgré l'obscurité, deux grosses larmes suspendues au bord de ses paupières, et qui bientôt glissèrent le long des joues.

Alors, du geste, il m'indiqua les groupes qui tourbillonnaient dans la pénombre, emportés par l'entraînement d'une valse, et où se détachait, de temps en temps, la taille svelte et élancée de Mademoiselle :
- Monsieur Marcel, dit-il, vous ne savez pas, vous ne pouvez pas savoir toute ma haine pour ces gens-là, et comme je voudrais être assez fort pour les pousser tous, au plus profond de la Gloire.

Puis, se secouant tout à coup, comme un homme à demi réveillé qui veut reprendre ses sens :
- Avec tout cela, dit-il, voilà l'heure qui passe et la lune qui monte dans le ciel ! Adieu, monsieur Marcel, ou plutôt, à demain Je vous porterai, à la première heure, une friture de truites, amassées par cette nuit calme, dans un retrait que je connais, et que je ne veux pas laisser aux braconniers.

Sans plus tarder, il s'éloigna, sauta dans le bachot, démarra, et, en quelques coups d'aviron, il disparut bientôt sous les saules.

Je demeurai sur le bord, interdit, immobile, pressentant qu'il se passait, dans ce petit être, quelque chose d'extraordinaire, dont la cause m'échappait et que je devinais presque, cependant, comme, par une nuit brumeuse, on aperçoit vaguement, au clair de lune, les contours d'un paysage rustique, sans en pouvoir saisir les détails et les accidents.

III

Le lendemain même de cette fête, Gringalet se présenta à la maison et manifesta le désir d'entretenir mon père, pendant quelques instants.

Il était pâle, un peu défait, les yeux gonflés, cerclés de noir, comme après plusieurs nuits d'insomnie, d'une expression de physionomie douloureuse, et je crois bien même qu'il avait dû beaucoup pleurer, car les paupières étaient rouges et les cils de place en place, collés ensemble, comme après des larmes copieuses.

Je me trouvais avec mon père, et prêts, tous deux, à partir pour la promenade matinale.

Gringalet s'avança vers moi et me tendit la main, avec un bon sourire. Je la secouai vigoureusement, mais ne sachant trop quoi lui dire, car cela me coupait la parole de le voir aussi triste et faisant de son mieux pour se donner des airs plus dégagés.

Je ne pus m'empêcher de lui en faire la remarque :
- Hélas, monsieur Marcel, dit-il, voilà longtemps que la gaieté est partie ; presque en même temps que vous. Depuis lors, j'ai vieilli sans grandir, et tout ce que j'ai en moi, le cœur surtout, me semble trop gros pour le corps.
- Tu souffres donc, lui demandai-je, mon pauvre Gringalet !
- Beaucoup, répondit-il, sans la moindre emphase, un mal sans guérison, monsieur Marcel, et que je ne vous souhaite pas.
- Bah ! interrompit mon père, tout cela finira et se dissipera avec le temps, comme le brouillard à la brise matinale. Mais, n'avais-tu pas quelque chose à me demander, mon ami ?

Il fit de la tête, un signe d'assentiment, et après quelques secondes d'hésitation :
- Oui, monsieur Maréchal, dit-il, et voici la chose. Je ne puis rester ici davantage...

Mon père l'interrompit :
- Tu nous disais le contraire, quand nous t'avons proposé d'accompagner Marcel à Cherbourg.

Gringalet eut le même triste sourire :
- C'était vrai alors, répondit-il, mais il y a déjà longtemps de cela, monsieur Maréchal ; depuis lors, il a passé bien de l'eau, sous la roue du moulin, et je suis décidé à m'éloigner du pays ; il faut absolument que je m'en aille.

Il garda, quelques instants, le silence, puis, sur un geste interrogateur de mon père :
- Je m'ennuie, reprit-il, je m'ennuie à mourir. Jamais je n'aurais cru cela, voyez-vous, et à qui m'eût dit que je finirais par prendre ce pays en aversion, j'aurais répondu par des injures. Mais, c'est plus fort que moi ; je m'ennuie ici, voilà la vérité vraie.

- Alors, fit mon père, tu voudrais t'éloigner, partir?
- Très loin, répondit-il, le plus loin possible.
- Encore faudrait-il savoir ce que tu désires faire ?
- Je voudrais naviguer, monsieur Maréchal, au long-cours, aussi longtemps qu'il le faudrait. Soyez tranquille, mon père ne s'y oppose pas ; voilà des mois que je lui en parle, et il se résigne. Alors, il m'a dit : il faut exposer cela à M. Maréchal, qui a de belles connaissances, et peut-être qu'en cherchant bien, du côté du Havre-de-Grâce, il trouvera ce qu'il te faut. C'est pour cela que me voici, et que je me permets de vous en toucher deux mots.

- Tu fais très bien, dit affectueusement mon père ; mais, as-tu songé à ta petite taille et à ton apparence frêle ? Les marins ne sont pas hommes à passer là-dessus.

- Je suis fort et agile, monsieur Maréchal, et ma résolution est irrévocablement arrêtée.

Et saisissant un baliveau qui se trouvait là, appuyé contre le mur du jardin, il le prit à deux mains, et posant son genou dessus, il le rompit, comme il eût fait d'une allumette :
- Il y a des hommes que je briserais ainsi, fit-il, les yeux flambants, et la même physionomie méchante que j'avais remarquée la veille au soir.

- Diable ! reprit, en souriant, mon père, ils feront bien de ne pas se trouver sur ton chemin. Eh bien, je vais m'occuper decela, je te le promets, et, s'il le faut, j'irai moi-même au Havre. Un de mes anciens camarades est capitaine d'armement dans une des fortes maisons de la place, et son concours pourra nous être très précieux. Mais tu nous donneras bien quelque répit, n'est-ce pas ?

- Le moins possible, monsieur Maréchal j'ai hâte de partir, et le plus tôt sera le mieux.

- Accompagne..nous, dit mon père, car tu comprends bien que je ne ferai rien sans l'autorisation de Galmant, et le meilleur moyen est de passer par le moulin et d'y prendre langue.

Nous gagnâmes le moulin, à travers les prairies, où les cigales s'en donnaient, parmi les graminées, et où les criquets et les sauterelles, sous nos pas, s'élançaient par douzaines, sautant, d'un coup, à l'extrême pointe des herbes les plus hautes, tandis que les vaches, s'éloignant lentement, nous regardaient passer et jetaient quelques meuglements sourds, le mufle en l'air, et la queue fouettant la croupe, de droite et de gauche, presque en mesure.

Déjà le moulin marchait, ronflant comme une turbine, et l'eau qui, d'en haut, tombait sur les palettes de la grande roue noire, s'émiettait en gouttes de cristal, au milieu desquelles le soleil matinal allumait des cascades de perles de toutes les couleurs.

Dans la cour, une fourche à la main, Galmant remuait le fumier, qui jetait dans l'air une buée épaisse, la chemise ouverte et la poitrine nue, à l'ouvrage depuis l'aurore.

Autour de lui, les poules gloussaient, écartant des pattes toute la pourriture et se régalant de tout ce qu'elles y trouvaient, avec une prestesse infinie, et d'autres, qui venaient de pondre, grimpées sur le fumier en tas, chantaient triomphalement, comme pour annoncer qu'elles avaient terminé leur besogne.

Dans les flaques d'eau, momentanément desséchées, ou à peu près, les oies et les canards se vautraient; les uns, dressés sur leurs pattes palmées, battaient de l'aile fortement, en poussant une série de cris monotones, et les autres se dandinaient, en soufflant, d'une patte sur l'autre, les plus belles, les jars, ayant au cou un morceau de bois horizontal, qui les empêche de passer à travers les barrières et d'aller dévaliser les pièces en labour et les jardins.

Lorsque Galmant nous aperçut, il interrompit sa besogne, et, les deux bras croisés, appuyés sur le manche de sa fourche, attendit. Aux premiers mots que prononça.mon père il se récria, disant que tout cela, pour lui, n'était point du neuf, et qu'il était, depuis quelques jours déjà, au fait des projets de Gringalet :

- Je n'y comprends pourtant pas grand'chose, dit-il, car c'est une vocation bien prompte ; mais j'ai ouï dire que ces goûts-là sont quelquefois de famille. Le garçon tient cela, peut-être, d'un sien oncle, frère de sa pauvre défunte mère, qui faisait la pêche du côté de Barfleur, et qui s'est perdu et noyé, un jour de vent, dans les parages du raz de Gatteville. Vous qui êtes un savant, monsieur Maréchal, vous pourriez me dire, peut-être, si c'est caprice ou chose bien arrêtée. En attendant, me voici à la veille de perdre deux bras solides et je ne retrouverai les pareils, pour sûr, qu'avec de l'argent.

A ces paroles, Gringalet pâlit, comme touché droit au cœur par cette expression, si simple, des embarras et des soucis qu'il laisserait derrière lui au moulin; et la tendresse rayonnait dans le regard qu'il fixait sur Galmant, auquel il ne restait plus que lui, d'une famille assez nombreuse, et dont la solitude prochaine le désolait.

Alors, mon père insista :
- Il faut réfléchir à tout cela, dit-il d'un ton assez sévère, avant de céder à un coup de tête. Pour moi, je ne prendrai l'affaire en main, vous m'entendez, Galmant, qu'avec votre autorisation formelle, et aussi avec la certitude parfaite que cette résolution n'est pas qu'une simple fantaisie.

Le meunier remercia mon père avec effusion, ajoutant que la démarche de Gringalet avait eu son assentiment préalable :
- Pour moi, dit-il, je vois bien qu'il n'y a plus moyen de le retenir au logis, et que tous les liens qui jadis rattachaient le garçon à la contrée, sont rompus; de quelle façon? Voilà ce qui m'échappe, monsieur Maréchal.

Et il ajouta, avec une bonne humeur forcée :
- Après tout, c'est un métier comme un autre, et nous voilà logés, monsieur, à la même enseigne, puisque M. Marcel en tient aussi, comme disent les riverains, pour la mer jolie. Mais M. Marcel naviguera, en officier, sur les vaisseaux de l'État, tandis que mon pauvre garçon peinera à la besogne, et recevra, sans doute, plus de coups que de bons morceaux.

Et, tout en s'efforçant de sourire, Galmant avait des larmes dans la voix.

Nous le rassurâmes, en lui disant que Gringalet était jeune, intelligent, et qu'en prenant goût au métier, il lui serait facile de devenir maître au cabotage, ou même capitaine au long-cours, et de se faire ainsi un avenir très sortable.

Mon père ajouta que, d'ailleurs, il était possible d'adoucir les débuts, et qu'il se faisait fort d'embarquer Gringalet, comme pilotin, à bord d'un grand clipper du Havre.

C'est ainsi que les jeunes gens destinés à la navigation commerciale, font leur apprentissage maritime et, en supposant qu'il fallût une rétribution quelconque, pour obtenir cette faveur, mon père en prenait la charge, avec plaisir, par considération pour Galmant, et aussi par affection pour Gringalet.

Celui-ci ne savait que balbutier quelques remerciements confus, tandis que Galmant, rassuré par ces paroles de mon père, prenait une physionomie plus sereine, et s'adressant à son fils, d'un ton autoritaire :
- Voyons, dit-il, c'est pas de bêtises qu'il s'agit ici ; es-tu bien décidé, et faut-il que M. Maréchal s'en occupe ? Car tu ne vas pas, je suppose, le laisser mettre en campagne, pour renâcler, quand le moment sera venu ?

Gringalet affirma sa résolution irrévocable, et pour mieux convaincre, il se mit à raconter toutes sortes de choses sur la mer ; et d'abord que, malgré son attachement pour le pays natal, il avait toujours eu, au fond du cœur, un goût prononcé pour la navigation. Cela lui était venu, presque brusquement, un jour, lointain déjà, où, par temps dur, il avait vu, du bout de la jetée de Cherbourg, des navires manœuvrant pour gagner le large. Alors il s'était dit qu'il fallait de la résolution et du sang-froid, pour lutter ainsi, contre le vent et les vagues, en se demandant quel tapage cela devait faire, en pleine mer, puisque, rien que dans le voisinage du port, le fracas du vent dans les voiles et à travers les cordages, lui semblait presque assourdissant. Une autre fois, étant au marché de Bricquebec, avec son père, ils avaient poussé, les affaires faites, jusqu'à Carteret, quatre lieues de chemin, et par une route assez dure, mais si charmante ! Là, du haut des falaises, avec un horizon clair, il avait vu, rien qu'avec ses yeux, les grands navires sortir, toutes voiles dehors, du port de Gorey, en Jersey, le soleil tapant d'aplond sur la voilure incendiée, et qui se déployait, rayonnante, comme de larges ailes d'oiseaux, sur l'eau toute bleue et le ciel tout flambant. Tout cela lui avait paru très beau et rien ne lui semblait plus désirable que de commander un de ces grands navires, et de lutter, avec une poignée d'hommes, contre l'ouragan. Et puisque, pour en arriver là, il fallait, ce qui était trop juste, passer par un rude apprentissage, c'est cet apprentissage qu'il voulait faire, au plus tôt, pour ne point perdre de temps, et pour arriver plus vite.

Tout cela était dit d'une façon un peu nerveuse, avec une prolixité qui n'était pas dans la nature réservée de mon petit camarade ; mais si nette, cependant, si précise et irrévocable, que mon père promit de trouver un embarquement prochain.

Ces choses-là ne vont pas encore aussi vite qu'on le pense, et ce fut seulement une quinzaine de jours avant la date fixée pour le mariage de Mademoiselle que mon père apprit à Galmant le succès de ses démarches.

Le capitaine du Patagon, grand clipper appartenant au port du Havre, et qui faisait un service de passagers, entre cette ville et le Callao, acceptait Gringalet, au titre de pilotin, et promettait, en outre, de se préoccuper spécialement de son éducation navale et d'en faire, promptement, s'il était intelligent, un bon officier marchand.

Galmant fut ravi. Gringalet, au contraire, accueillit froidement la nouvelle. Il devenait, pour moi, impénétrable.

Depuis le moment où il avait été question de son départ, je ne l'avais aperçu qu'à de rares intervalles. Il paraissait me fuir, ou du moins ne me recherchait pas.

Lui, si gai jadis, si joyeux, si communicatif, si heureux même de se trouver en ma compagnie, s'éloignait, dès l'aube, le fusil sur l'épaule, et s'en allait en chasse, ou soi-disant, car il rentrait, tous les soirs, bredouille.

Le vieux fusil, qui lui donnait une contenance, était une de ces armes étranges, comme on en voit fréquemment dans quelques fermes de Normandie, armes presque hors d'usage, à un seul canon long comme une hallebarde, ayant une vague ressemblance de forme, sauf les détails de luxe, avec les fusils arabes.

Celui-ci était noir comme de l'ébène, et, au bout du canon, un fil de fer s'enroulait, au milieu duquel une tête de clou fichée servait de point de mire.

Un soldat eût craint de s'en servir; nos paysans, soit insouciance, soit habitude, braconnent avec cela, sans penser aux accidents, et se transmettent l'arme, de génération en génération, comme un précieux souvenir familial.

Gringalet, muni du vieux fusil de Galmant, ne tuait rien, parce qu'il ne tirait pas.

J'ai toujours cru depuis qu'avant l'heure du départ il voulait tuer le temps et s'étourdir, en rôdant du matin au soir, à travers ce pays de son enfance, où nous avions laissé, dans tous les sentiers, la trace de nos pas.

Cependant, lorsque le moment approcha, il y eut, chez lui, une sorte de détente, et, entre nous deux, comme un ressouvenir des bonnes heures passées.

Un jour même, je pus croire qu'un aveu sortirait de ses lèvres et que je saurais le motif de cette singulière misanthropie.

Je le crus si bien que je le poussai aux confidences ; et ce fut là, assis, côte à côte, sur un banc de ce vieux bachot, où nous avions tant ri jadis, de compagnie, à l'ombre des arbres dont les branches pendantes s'arrondissaient en dôme, sur la Gloire, ce fut là qu'il me donna l'explication de son goût inopiné pour les longs voyages.

Depuis, j'ai vu bien des choses. Dans ma carrière de marin, déjà remplie, je fus le témoin de terribles aventures et de séparations cruelles. Jamais, non jamais je ne ressentis émotion pareille à celle que me causa la confession simple de cet adolescent de mon âge, en proie, à l'aurore de sa jeunesse, à ce sentiment qui a raison des cœurs les plus solides et des hommes les mieux trempés.

Le mariage de Mademoiselle le tuait, et moi-même, qui ne comprenais pas grand'chose à tout cela, j'eus des larmes plein les yeux, lorsque de sa voix douce, il me dit, en me prenant les mains dans les deux siennes :
- Monsieur Marcel, jurez-moi que vous ne répéterez à personne rien de ce que je vais vous dire. C'est un secret qui ne doit point nous dépasser tous deux; mais, vous ne saurez jamais ce que j'ai enduré, ce que j'ai souffert de déchirements, depuis le jour où le premier uniforme d'officier de marine s'est montré, là-bas, à l'entrée de l'avenue. J'ai tout deviné, du premier coup, monsieur Marcel, tout et lorsque, caché derrière un arbre, j'ai vu l'autre s'incliner, devant Mademoiselle, et lui prendre la main, elle, rougissante et confuse, j'ai senti que tout était fini pour moi, que l'air me manquait, et que, désormais, je ne pourrais plus vivre ici. Alors, je me suis mis à vagabonder, à courir, à me briser les membres, espérant faire diversion, grâce à la fatigue physique, à mes chagrins cuisants, et me distraire, par un commerce plus intime encore, avec ce pays. Je me suis lancé, à corps perdu, à travers les herbages, les prairies, les halliers, à travers tout, grimpant au plus haut des arbres, me déchirant aux ronces, aux épines, aux houx, dont les baies rouges, écrasées, laissaient, sur mes vêtements, sur mon visage et sur mes mains, des traces sanglantes. Ce fut en vain. Le chant des oiseaux me fit mal, et je les chassai brutalement de leurs massifs favoris, les loriots, les pinsons, les merles, les fauvettes, et jusqu'à ces mauvys mélodieux qui, dès l'aube, saluent les premiers reflets du soleil levant, à l'extrême pointe des branches. Autour de moi, je cherchais à faire le vide, sans doute parce que mon cœur était trop plein. Mais l'image me poursuit partout, monsieur Marcel, partout et elle me poursuivra toujours, si je reste dans ce pays, où tout me parlerait de Mademoiselle. Vous voyez donc bien qu'il faut que je m'en aille.

Je fus terrifié. Gringalet amoureux de Mademoiselle ! Et cette révélation survenait au moment même où les préparatifs de la noce se faisaient où Mademoiselle, heureuse et sans soupçon de cette passion étrange, pouvait encore se montrer au détour d'un chemin, venir à notre rencontre, et nous embrasser tous deux, comme autrefois, comme il n'y avait pas si longtemps Et je ne savais que répéter, en rendant son étreinte à mon cher camarade :
- Gringalet, mon pauvre Gringalet !

Puis, frappé par une idée soudaine qui, dans la circonstance, me semblait un expédient sûr :
- Sais-tu ce qu'il faut faire? lui dis-je, il faut partir sur l'heure, demain, au plus tard. Je te conduirai à Cherbourg, et tu prendras le bateau du Havre, à la marée. Vois-tu, il ne faut pas que tu restes ici. Le Patagon met à la voile, dans une douzaine de jours, et pendant ces douze jours-là, tu peux bien coucher dans ton cadre. Tu penseras à moi, qui t'aime comme un frère, et lorsque, dans douze jours, ton navire doublera la pointe de Barfleur, tu te diras que je suis ici, à cette place même, et que je te suivrai; en idée, jusqu'au bout du monde, avec l'espoir de nous retrouver un jour ensemble.

Il se redressa de toute la hauteur de sa petite taille, et debout, dans la barque qui vacillait, les bras croisés, et, fixant sur moi, ses yeux humides :
-Vous avez raison, monsieur Marcel, dit-il, et je vous remercie.

Comment fis-je accepter à mon père cette résolution de Gringalet ? C'est ce que je ne saurais dire. Mais j'eus probablement beaucoup d'éloquence, car il céda, disant qu'en effet il était bon, pour Gringalet, de faire connaissance avec son navire, et que tout ainsi serait pour le mieux. Et le lendemain, à la marée du soir, sur le quai de l'avant-port, où le paquebot fumant, le Colibri, était amarré en double, à cause du vent qui soufflait en forte brise, j'embrassai Gringalet, qui s'élança.

La cloche du navire tinta, le capitaine monta sur la passerelle, les palettes des roues battirent l'eau avec un bruit de cascades, le bruit que faisait la roue du moulin quand elle commençait à marcher, et je gagnai, en courant, le bout de la jetée, pour faire un dernier signe de la main et donner un dernier adieu à mon pauvre petit camarade qui s'en allait, exilé volontaire, à des milliers de lieues, sans avoir revu Mademoiselle.

Celle-ci, à la nouvelle, témoigna quelque surprise et parla même d'ingratitude, disant que tous ces enfants sont bien les mêmes, oublieux, volages et légers, et qu'il en serait ainsi de moi, dans quelques jours, lorsque, comme Gringalet, j'aurais pris ma volée.

Toute joyeuse qu'elle était du mariage prochain, elle avait quelque chagrin de cela, et les affectueuses caresses du petit homme lui revenant en mémoire, lorsqu'il jetait, à brassées, sur ses genoux, des gerbes de fleurs champêtres cueillies pour elle, dans les prairies voisines, elle disait que les adolescents perdent vite la mémoire.

Enfin, le mariage eut lieu par une belle journée de septembre, où la verdure, rafraîchie par la rosée des nuits, garde sa teinte verte encore, mais, de ci de là, déjà cuivrée et roussie.

Que de monde à la maison, sur la terrasse ornée comme ce jour-là même où, sur la demande de l'amiral, préfet maritime, on avait conclu les accordailles !

Les équipages étaient venus, en nombre, de Cherbourg et de Valognes, et, tout le long de l'avenue, c'était un roulement de voitures et des claquements de fouets, à n'en plus finir.

Les officiers de marine, dans leurs brillants uniformes, après avoir déposé au vestiaire leurs vêtements plus lourds, se promenaient, par groupes, en fumant, à l'ombre des grandes futaies du parc, les dorures de leurs habits scintillant sous les rayons du soleil.

Le temps était magnifique, une journée d'automne, sans nuages. A peine une légère brise agitait-elle les hautes cimes des arbres, même sur les coteaux et, dans les vallons, les trembles, si remuants, demeuraient immobiles.

Mademoiselle, dans sa chambre, s'apprêtait, pour la cérémonie, et, de temps en temps, par une fenêtre entr'ouverte, elle montrait sa tête charmante, en m'adressant des signes affectueux.

Jamais elle ne m'avait semblé plus belle ; il faut dire aussi que jamais je ne l'avais vue mieux parée. Sa jolie tête souriante, encadrée entre deux larges et épais bandeaux de cheveux châtains sur lesquels la couronne de fleurs d'oranger allait bientôt poser sa blancheur éclatante, rayonnait et, malgré moi, ma pensée se portait vers l'autre, dont le navire appareillait peut-être, à cette heure même, et qui s'en allait au bout du monde, triste, avec une blessure saignante au cœur.

Vers les onze heures, tout le cortège s'ébranla, gagnant, à pied, l'église voisine, dont la cloche unique sonnait, à toute volée, glissant sous les arbres de l'avenue, comme un long serpent multicolore, pailleté par mille taches de feu, que le soleil jetait à travers les branches, comme une inépuisable poudre d'or,

Des deux côtés du chemin, les gens du pays se tenaient, endimanchés, chapeau bas, les femmes, ayant sous le bras le livre de messe cousu dans une enveloppe de drap noir, ébahis, en présence de ce cortège superbe, au milieu duquel les officiers de marine mettaient toute la splendeur éclatante de leur grande tenue.

Le portail de l'église était grand ouvert, et, sous le porche, le sacristain, suant et geignant, tirait, à deux mains, sur la corde de la cloche, et parfois perdait le sol des deux pieds.

Dans le fond, sur le maître-autel recouvert d'une nappe blanche toute neuve, les cierges flambaient à foison, au milieu d'énormes bouquets de graminées embaumantes et de gerbes de fausses fleurs aux teintes criardes et, sur la première marche, le curé, debout entre deux enfants de chœur, se tenait, et derrière lui, les chantres en surplis blancs, tout prêts à bien faire.

Lorsque le cortège apparut, à l'entrée du cimetière, ce fut le signal du vacarme joyeux. Les coups de fusil éclatèrent, à droite et à gauche, effrayant les oiseaux qui s'enfuyaient éperdus, en sifflant, par dessus l'église, ou se glissaient, dans les crevasses de ses murailles lézardées. Puis apparurent, à gauche, Galmant en tête, des paysans, garçons et filles, en toilette des grands jours celles-ci, le fichu de couleurs voyantes plissé entre les épaules, le visage encadré dans le bonnet blanc à larges brides nouées sous le menton, et portant, à quatre, dans une corbeille de mousse, un énorme bouquet de roses, de dahlias et de toutes les fleurs de l'arrière-saison, qu'elles vinrent offrir à la fiancée.

Puis, tout le flot s'engouffra et se rangea comme il put, dans l'église trop étroite, et la cérémonie commença.

Le soir, toutes les portes du parc furent ouvertes ; Mademoiselle ouvrit le bal, sous es arbres, et l'on revint sur la terrasse où les girandoles et les lanternes vénitiennes brillaient, comme ce soir là même où j'avais surpris Gringalet au bord de la rivière.

Mademoiselle, maintenant Madame, traversait, au bras de son mari, les groupes, ayant à l'adresse de chacun une parole aimable, et, à la nuit tout à fait venue, avec la robe de moire blanche qui dessinait sa taille souple et mince, on eût dit une apparition de fée dans la foule charmée, la tête nue, avec une rose blanche dans ses magnifiques cheveux noirs, un peu désordonnés, ce qui la rendait encore plus jolie.

Moi-même, j'étais surpris par l'éclat de cette fête, où les sons d'un orchestre choisi, installé sous une tente ouverte, dressée sur l'herbe, se mêlaient aux harpes et aux violons des vagabonds venus de Cherbourg qui, dans les vastes allées du parc, rythmaient les fantaisistes sauteries des paysans quelque peu allumés.

Soudain, au milieu de toutes ces folles danses, un sifflement prolongé se fit entendre, et une fusée d'artifice, décrivant, dans le ciel, sa courbe capricieuse, retomba, en jetant, sur la cime des arbres, une pluie d'étoiles.

Ce fut le signal d'un embrasement général, et, tout d'un coup, le parc s'illumina, d'une manière féerique, incendié par les fusées crépitantes, les soleils ronflants qui tournaient, les feux de Bengale qui se consumaient, inondant les massifs de lueurs fantastiques, et faisant, dans l'ombre des bois, des trouées de lumière de toutes les couleurs.

Cela dura ainsi pendant une demi-heure, les fusées se poursuivant dans le ciel, avec un bruit pareil à des déchirements d'étoiles soyeuses, et les boules d'artifice montant prestement en l'air, l'une après l'autre, et restant momentanément comme suspendues par un fil, avant de s'éteindre, et rutilant comme autant de lunes factices qui effaçaient l'éclat de la lune véritable dont le disque, aplati déjà, s'inclinait vers l'horizon occidental.

Enfin, il y eut un moment de répit, et tout se trouvait plongé dans une ombre plus épaisse, quand, tout à coup, du beau milieu de la clairière, la grande pièce construite, en l'honneur de l'amiral, par l'artificier de Cherbourg, Laffoley, s'embrasa.

La flamme pétillante se mit à circuler partout, avec une rapidité inouïe, s'allongeant en tous sens, comme autant de serpents de feu, et, en un clin d'œil, un vaisseau de ligne apparut, dans un flamboiement complet, avec ses sabords fulgurants. Mâts, cordages, vergues, haubans, voilure, pavillons, rien n'y manquait, et même, grâce à des procédés chimiques de coloration, qui paraissaient le comble du merveilleux, le drapeau tricolore se déploya, à la corne d'artimon, tandis que, debout sur le gaillard d'arrière, un homme tenant, à deux mains, un énorme porte-voix, se dressait, presque aussi haut que les mâts de hune.

Au même moment, au milieu d'une éruption de flammes projetées de tous côtés, des centaines de détonations se produisirent, l'une suivant l'autre, avec une célérité sans pareille, de manière à produire presque un roulement continu ; le beau navire se changea en un merveilleux bouquet d'aigrettes multicolores qui apparurent, pendant une seconde, au bout d'une parabole enflammée, pour éclater dans l'air, successivement, en embrasant le parc et tout le paysage environnant qui, en quelques instants, passèrent par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, et jusqu'à la rivière même, ruisselant comme une nappe de feu onduleuse, et où, grâce sans doute à une hallucination produite par toutes ces féeries, je crus voir glisser le bachot, poussé, à la godille, par un fantôme tout blanc.

Et presque subitement, après quelques détonations piteuses de fusées retardataires, l'ombre se fit, de nouveau, plus profonde, même sur la terrasse éclairée, après ces éblouissantes clartés.

Alors, autour des tables dressées dans les allées du parc, pendant que, sur la terrasse et dans les salons, les couples circulaient, avec une certaine indolence causée par l'énervement des danses, les paysans s'installèrent bruyamment, engloutissant les viandes froides, entassées à discrétion, les jambons fumés et bouillis, les andouilles, les saucisses et les boudins grillés, et jusqu'aux œufs durcis, amoncelés de place en place, comme des obus dans des parcs d'artillerie absorbant le cidre, à même les larges et profondes tasses de porcelaine peinte, aussitôt vidées que remplies, et chantant, entre deux bouchées, quelques refrains du pays, repris en chœur, avec des gestes bizarres et un accompagnement de coups de poing qui faisaient sauter tout sur les tables, les verres, les moques, les plats et les carafes, qui finissaient par danser une sarabande singulière.

Accoudés sur la balustrade de la terrasse, les invités considéraient ce spectacle original, donné par de braves gens, s'amusant en toute liberté, sans la moindre contrainte, lorsque, soudain, un demi-silence s'établit, et la complainte que nous avions entendue, quelques semaines auparavant, chantée par la même voix, mais montée à un diapason plus strident, retentit entre deux éclaircies :

Chante rossignol, chante.

Le couplet fini, je prêtai involontairement l'oreille. Il me semblait, je n'aurais su dire pourquoi, que j'allais entendre la voix de Gringalet, douce, plaintive, succédant comme naguère, à cette voix fortement timbrée de fille des champs.

Il y eut quelques minutes de silence à peu près complet, et au moment où la voix reprenait la suite de la complainte, ce fut une détonation, comme un coup de fusil, qui éclata à cinq cents mètres dans la direction de la rivière et se répercuta longuement dans la nuit sonore.

Le silence, cette fois, se fit, absolu, comme obéissant à un ordre brutal, un silence oppressé, sous lequel on devinait une sorte d'angoisse. Mais, ce ne fut pas long, et le sentiment du plaisir reprit bientôt le dessus : sans doute, quelque incorrigible braconnier, qui profitait de la fête pour faire ses affaires !

Pour moi, j'avais reçu comme un coup dans le cœur, et je me glissai vers la rivière.

Le bachot n'était point à sa place, et, sous les rayons obliques de la lune, tamisés par les arbres des rives, la Gloire, sinueuse, brillait, comme une longue lame tordue de métal où, de place en place, on voyait des taches d'ombre.

Ma pensée, surprise par ce coup de feu inopiné, et secouée, en plein rêve, se perdait à quelques lieues de là, dans la Manche, où le Patagon voguait, à cette heure, emportant, vers les pays lointains, le petit meunier Galmant, dont le souvenir me revenait, enveloppé dans je ne sais quel sentiment pénible qui me faisait songer à un malheur ; d'autant plus que j'avais cru reconnaître le son particulier du fusil du moulin, ce vieux fusil à un coup, noir comme de l'ébène, et avec lequel j'avais abattu, moi-même, bien des fois, hélas en compagnie de mon cher camarade, les petits oiseaux inoffensifs, qui chantaient, à plein gosier, sous les branches des hêtres, des chênes et des ormeaux.

Avec la nuit plus avancée, presque à la pointe du jour, la fête cessa ; les sons de l'orchestre s'évanouirent, les hôtes de la maison plus intimes gagnèrent chacun leur chambre désignée, et je me rappelle qu'il y eut un certain tumulte, parce que l'on ne retrouvait plus, sur le lit nuptial, ni le voile, ni la couronne de mariée de Mademoiselle.

Au moment où le soleil commençait à flamber, par-dessus l'horizon, je fus réveillé par une clameur terrible, et, me précipitant à la fenêtre, j'aperçus, la tête cachée dans ses mains, le meunier Galmant, criant, comme un fou, après M. Maréchal qu'il voulait voir.

Je m'habillai, à la hâte, et je descendis, juste comme mon père et Galmant s'éloignaient, gagnant la rivière, et je les eus bientôt rejoints.

A deux cents mètres en aval de l'endroit où le bachot était amarré, d'habitude, celui-ci s'était arrêté, collé, sur un banc de sable et de cailloux, et, dans le fond, Gringalet était étendu, la tête fracassée, enveloppé dans le long voile blanc de Mademoiselle. Sa main droite, crispée, tenait encore le canon du fusil, et l'orteil de son pied nu était posé sur la gâchette. La main gauche, posée sur le cœur, serrait convulsivement le bouquet de la mariée et les plis du long voile, remués par la brise matinale, se soulevaient et s'abaissaient, leur extrémité baignant dans la rivière.

Enfin sur une des planchettes du bachot, une lettre placée sous une pierre et que je m'empressai de saisir. Elle était à mon adresse et contenait ces simples mots d'un laconisme poignant

« Monsieur Marcel, pardonnez-moi je n'ai pas eu là force de partir; je suis revenu et je n'ai plus le courage de vivre. Je meurs pour ce que vous savez, en vous rappelant que vous m'avez promis le secret. Ma dernière pensée a été pour vous, et aussi pour l'autre. »

Ces quelques mots étaient écrits de la veille, à un moment où le malheureux n'avait pas encore dérobé le voile de Mademoiselle, pendant le tumulte de la fête, pour s'y envelopper comme dans un linceul.

Galmant, à qui tous ces détails échappaient forcément, s'était jeté sur le corps de son fils, dont il couvrait le visage de baisers, en sanglotant.

Mon père, en même temps, fixait sur moi un regard interrogateur :
- Eh bien ? dit-il laconiquement.

Je gardai le silence et me contentai de lui montrer, du geste, le voile et les fleurs.

Il comprit, et approchant ses lèvres de mon oreille, pour que Galmant n'entendît pas :
- Tu le savais, Marcel ? dit-il.
- Il y a quelques jours, répondis-je, il m'a tout avoué, au moment de gagner Cherbourg.
- Pauvre enfant ! reprit mon père. Surtout, que personne ici ne se doute de la vérité !

Puis, s'adressant au meunier, qui avait saisi le cadavre, à bras-le-corps, et le serrait contre sa poitrine haletante :
- Allons, mon vieux Galmant, du courage ; il en faut parfois, dans ce monde mais voilà une triste fin de fête de famille !
- Je n'y comprends rien, répondit le meunier, vieilli de dix ans en quelques heures, je n'y comprends rien, monsieur Maréchal, et c'est en vain que je m'interroge moi-même.

Puis, avec cette poésie naturelle à certains paysans, et qui s'était si largement développée chez son fils :
- Une fleur vivace ne meurt pourtant pas en pleine terre, sans orage ou sans cause.

Alors, il s'installa dans le bachot et remonta le courant, jusqu'au moulin, le cadavre de son enfant couché dans le fond.

J'avais, sous les paupières, un flot de larmes, et, instinctivement, je me serrais contre mon père, saisi, au delà de toute expression, par ce dénouement sinistre d'une idylle presque enfantine.

Très ému lui-même, il me prit la main, et nous regagnâmes la maison, silencieux et mornes, et le cœur plein d'angoisse, lorsqu'en gravissant les marches de la terrasse, nous aperçûmes Galmant qui, en ce moment même, arrivait au moulin avec son cher et funèbre fardeau. Mon père s'arrêta, et la main tendue vers le groupe lugubre de Galmant portant le cadavre de son fils :
- Il y a dans la nature, dit-il, des anomalies étranges et injustes ; parfois une absence d'équilibre, et comme un manque d'harmonie, dans quelques-unes de ses œuvres. Cet enfant est mort pour avoir eu trop tôt l'intelligence d'un homme.

Alors me revinrent en mémoire les paroles de Gringalet; le soir des fiançailles, lorsqu'il me montrait, du geste, la terrasse brillante et animée. Et quand, à l'heure du déjeuner, Mademoiselle descendit, au bras de son mari, radieux tous deux, et triomphants, je me dis qu'il y avait quelque chose de pénible à savoir que cette belle créature était la cause involontaire et ignorante d'un pareil malheur.

Il fallut bien, cependant, l'en instruire. Elle en eut une certaine mélancolie, pendant quinze jours, et ce fut tout.

Pour moi, après bien des années, le souvenir me poursuit, et c'est avec la même intensité d'angoisse, que je revois, en imagination, dans les plis du voile nuptial, la tête fracassée et sanglante de mon pauvre Gringalet.

Auteur

Charles Canivet

Ouvrage

Mademoiselle Maréchal

Année

1891

Source

Gallica