L'église en ruines

Texte

A M. Gemâhling.

Sur la côte, exposée au vent,
Ayant la vaste mer devant,
Et le vallon fleuri derrière,
Vieille de six siècles passés,
Les trous de ses murs sont cachés
Sous des rideaux épais de lierre.

Inflexibles et lourds marteaux,
Les coups d'équinoxe brutaux,
En Mars où couve la tourmente,
Ont défoncé, dans maint endroit,
Le vieux clocher montant tout droit,
Dans l'air qui vibre ou se lamente.

Il en a vu passer, depuis
Le temps où l'Anglais a conquis
Les pays des bords de la Manche,
Où, poussant son flot batailleur,
Depuis Barfleur jusqu'à.Harfleur,
Il roulait comme une avalanche!

Ses nefs, maîtresses de la mer,
Glissaient, ô souvenir amer!
Sur l'onde agitée ou sereine.
Planant comme de grands oiseaux,
Combien, a-t-il vu de vaisseaux,
Là-bas, du côté de la Seine?

Combien en a-t-il vu glisser,
Venant de l'Ouest, pour s'enfoncer
Dans les brouillards de l'estuaire ?
Comme ces farouches Normands,
Qui défiaient les éléments,
Les eaux, les vents et le tonnerre.

Et quand l'horizon s'embrumait,
Au crépuscule, on allumait,
Là-haut, le fanal tutélaire,
Pour faire signe à qui roulait
Dans la vague, qu'il lui fallait,
Virer de bord et fuir la terre.

Depuis, les siècles ont passé,
Et le lierre s'est amassé,
Autour, des branlantes ogives ;
Et le monument effondré,
Semble un vieux vaisseau délabré,
Qui saigne dans, ses œuvres vives.

Les vents circulent à travers ;
Pour se chauffer, les lézards verts
Sortent des ronces par douzaines ;
Dans la nef, poussent, à foison,
Toutes les plantes du gazon,
Les luzernes et les tremaines.

Le toit n'est plus qu'un trou béant
Et quand passe le grain ronflant,
Emporté, tordu par la trombe,
L'eau, qui s'engouffre à ciel ouvert,
Nettoie et met à découvert
Quelque antique fragment de tombe.

Mais, quand flambent les renouveaux,
Les lierres se peuplent d'oiseaux,
La nef se remplit d'allégresse ;
Sur ce qui reste de l'autel,
Sitôt l'aube, et sans rituel,
C'est un merle qui dit la messe.

Alors, des fentes des vieux murs,
Du fond des feuillages obscurs
Que le rayon matinal dore,
Des bandes d'oiseaux réveillés,
Mêlant leurs timbres embrouillés,
Donnent une aubade à l'aurore.

Et tandis qu'au lointain vermeil,
Au ras de la mer, le soleil
Apparaît, rond comme une hostie,
Tous les chanteurs, ivres d'amour,
Pour saluer l'astre du jour,
S'élancent de leur sacristie.

Auteur

Charles Canivet

Ouvrage

Le long de la côte

Année

1883

Source

Gallica